Regards critiques sur la loi ELAN

16/02/2019
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« Pour aller de l’avant, il faut prendre du recul, car prendre du recul, c’est prendre de l’élan. [1]»
Le Législateur a-t-il suffisamment pris du recul avant d’adopter le 16 octobre 2018 la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique[2] ? Les espoirs portés en cette nouvelle loi ne sont-ils pas d’ores et déjà déçus ?
La maxime de cette Loi est pourtant prometteuse : « construire mieux, plus vite et moins cher ». 
Nous disons alors : chiche ! 

 

La fonction de l’architecte remise en question

 

1. Rappelons que ce dernier adage fut popularisé par un architecte, Monsieur Fernand Pouillon, qui dans une période d’après-guerre soutenait un modèle d’expérimentation et d’innovation afin de remplir les quotas de constructions imposés par les pouvoirs publics. Sous l’impulsion de ces derniers, les normes de construction étaient alors souples.

2. Aujourd’hui le contexte est bien différent, mais les problématiques semblent identiques. Le parc immobilier doit impérativement se rénover et se densifier, tout en intégrant des réflexions énergétiques et environnementales et des améliorations intelligentes de conception architecturale. L’aménagement urbain est toujours tiraillé entre les perspectives des promoteurs privés souhaitant améliorer leur marge et les bailleurs sociaux désirant contrôler les dépenses publiques, le tout dans le respect d’une réalisation de qualité.

3. L’architecte a-t-il toujours sa place dans le cœur du Législateur ? Nous pouvons en douter. En effet, estimant que le recours au concours faisait perdre du temps dans le processus de construction, l’article 88 de ladite loi ne rend plus obligatoire pour les bailleurs sociaux et les CROUS cet exercice pour les grandes opérations. Or, il me semble que cela peut même être l’inverse, voire un gage de qualité et de transparence pour les futurs occupants et utilisateurs. En effet, l’instruction d’un dossier de permis bien mené et bien pensé ab initio est non seulement un gain de temps pour l’avenir mais aussi une source d’innovation.

 

Les normes de construction, la difficile équation

 

4. La loi ELAN a-t-elle rendue les normes de construction plus souples ? Il faut être agile pour répondre à cette question. En effet, la loi ELAN a multiplié les normes puisqu’affectant notamment la performance énergétique des matériaux et produits de construction et l’accessibilité des constructions (création de nouveaux diagnostics techniques, nouvelles règles d’aménagement du territoire dans les OIN ou les GOU[3], création des IMH, révision de la procédure de contrôle des immeubles insalubres, …). Mais elle a également rendu l’application de ces normes confuses.

5. En effet, peu de temps avant la loi ELAN, le Législateur a adopté la loi ESSOC[4]. Cette loi a également affecté les normes de construction, notamment par la création d’un « permis d’expérimenter ». Ce nouveau permis autorise les constructeurs à déroger à certaines normes (sécurité incendie, accessibilité du bâti, performance énergétique, …) sous réserve d’atteindre des résultats similaires. Plus souples ? pas sûr ! Plus compliqué ? Certainement. L’agencement entre les différentes règlementations sera inévitablement un casse-tête pour les opérateurs et leurs conseils.

 

Le trompe l’œil de l’accessibilité

 

6. Nous pouvons aussi nous interroger sur les incidences de l’aménagement des règles d’accessibilité offert par la loi ELAN[5].

7. Avant cette loi, 100% des logements réalisés devaient respecter les normes d’accessibilité (aux personnes handicapées). Longtemps discutées lors des débats parlementaires, ces règles ne devront désormais concerner que 20% des logements neufs.

8. A première vue, cela semble rendra plus heureux les promoteurs. A première vue.

9. En effet, cette nouvelle disposition est plus contraignante qu’auparavant. Il faut en déduire que si 20% des logements devront être construits dès l’origine selon ces normes, le reste des appartements devront être conçus de manière à rendre ces logements accessibles et adaptables par de travaux simples par les futurs acquéreurs et occupants. Ce qui rend en réalité la conception de ces logements plus complexe.

10. Par ailleurs, se pose la question du respect de ce quota. Ce dernier doit-il être respecté lors de la demande de permis de construire ? et/ou lors de la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux ?  Le maintien de ce quota suscite également certaines interrogations : Quid en cas d’évolution des constructions et de division des lots ? Qui vérifiera ce quota ? le notaire ? le maître d’œuvre ? Nous pouvons également nous enquérir de l’articulation de cette disposition avec d’autres législations, telle celle relative au bail. Ainsi, les travaux dits « évolutifs » peuvent-ils être mis à la charge du preneur ? En cas de désordre, qui en aura la charge juridique ? le bailleur ? Tant de nouvelles questions en suspens.

 

La performance énergétique en question

 

11. L’un des objectifs phares de la loi ELAN est la rénovation énergétique du parc tertiaire. En effet, les nouveaux bâtiments devront avoir pour ambition la neutralité énergétique. Soit. Ce bel objectif est toutefois déjà écorné puisqu’il est prévu qu’un nouveau décret voit prochainement le jour afin de moduler les réductions en fonction des contraintes techniques et architecturales.

12. De surcroit, même si la simplification normative est une obsession contemporaine, la loi ELAN n’échappe pas à l’exception de complexité croissante. En effet, la loi prévoit que la répartition des coûts de travaux nécessaires à la réduction énergétique n’affecte pas les baux en cours[6]. Il aurait été intéressant de confronter cette disposition avec l’annexe environnementale déjà obligatoire pour les baux conclus ou renouvelés sur des bâtiments tertiaires. Cela ne semble pas avoir réalisé. Dès lors, l’articulation de loi ELAN avec le décret du 30 décembre 2011 n’en sera que plus complexe.

13. En outre, la loi ELAN a rendu le contenu du DPE opposable[7] aux vendeur et bailleur. Ce diagnostic, dont les informations n’avaient qu’une valeur informative, sera dorénavant le plus « pernicieux » pour le bailleur ou le vendeur. En effet, le locataire ou l’acquéreur pourra se retourner contre son ayant-droit en cas de contenu erroné. Or, l’on sait bien que la probabilité que le contenu du DPE reflète la réalité n’est que très faible.

 

La réduction des délais en demi-teinte

 

14. L’objectif de « construire plus vite » passe dans un premier temps par le tamis de l’instruction de l’autorisation administrative par les services instructeurs[8]. L’accélération de la procédure va dorénavant et notamment passer par i) un contenu unifié des demandes, par ii) le fait qu’aucune autre pièce ou information que celles visées dans le dossier de demande ne pourra être exigée par l’Administration, iii) et par une téléprocédure. Or, nous nous permettons d’ores et déjà de nous interroger sur l’inanité de ce vœu. En effet, des décrets d’application sont nécessaires pour mettre en œuvre ces principes. Or, si la limitation des pièces sollicitées doit être encouragée (nombreux sont les administrés dont il était demandé des pièces non visées par le code de l’urbanisme), il a été remarqué que la rédaction du nouvel article est beaucoup trop large et source de confusion et d’insécurité.

15. En outre, le nouvel article R 600-6 du code de l’urbanisme, érigé en suite au décret n°2018-617 du 17 juillet 2018, dispose dorénavant que le « juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement ». Nous ne pouvons que nous féliciter de cette mesure. Toutefois, il est dommageable que ce délai ne présente qu’un caractère incitatif et non contraignant. Il est donc décent de penser que les recours contre un permis pourront être jugés bien au-delà, compte tenu de l’engorgement actuel des tribunaux.

16. Autre exemple : afin de lutter contre les recours abusifs, le législateur a imposé qu’à compter du 1er janvier 2019, une association n’est recevable à agir que si elle justifie un dépôt de ses statuts au moins un avant l’affichage de l’autorisation administrative sur le terrain[9]. Bien que cette formulation soit heureuse, nous pouvons douter de l’effectivité de cette disposition. Quand bien même les associations uniquement et nouvellement créées pour intenter un recours n’auront plus d’intérêt à agir, elles sont aujourd’hui si bien organisées et structurées que nous pouvons légitiment hésiter sur l’impact de cette mesure sur la diminution des future recours. 

 

De nouvelles réflexions sur les travaux et opérations de construction

 

17. Si la loi ELAN apporte de bonnes idées, force est de constater qu’elle emporte également de nouvelles réflexions.

18. La première vient des nouvelles dispositions de l’article L 424-5 du code de l’urbanisme, lesquelles clarifient les conditions de dépôt d’une seconde autorisation. Il en résulte dorénavant que la délivrance au même propriétaire d’un nouveau permis de construire n’a pas pour effet d’obtenir le retrait de la précédente autorisation. Toutefois, l’article ne va pas plus loin. En effet, il est visé par ledit article « le dépôt par le même bénéficiaire [de l’autorisation initiale] ». Or, il n’est pas évoqué le cas classique de dépôt d’une nouvelle demande par une autre personne que le bénéficiaire initial du permis. Dès lors, dans cette hypothèse, cela emportera-t-il automatiquement le retrait de l’autorisation initiale ? Si tel n’est pas le cas, il faudra alors toujours solliciter à l’Administration le retrait de la première autorisation.

19. La seconde vient par les dispositions de l’article 75 de loi ELAN qui autorise l’acquéreur de vente en l’état futur d’achèvement à se réserver certains travaux de finition ou d’installation d’équipement. Outre le fait que nous restons dans l’attente d’un décret en Conseil d’Etat délimitant la nature de ces travaux, il se pose inévitablement des multiples interrogations. Par exemple, l’acquéreur doit-il obligatoirement recourir à des professionnels pour réaliser ces travaux ? Quid de leurs assurances obligatoires ? Par ailleurs, quid du calcul du coût indirect des travaux à réaliser par l’acquéreur (assurances, GFA, bureau d’étude, …) qui doit impérativement être intégré (et ventilé) dans le coût global des travaux à la charge de l’acquéreur. Quid de l’impact des travaux réalisés par l’acquéreur en cas d’absence de conformité du permis de construire de ce fait ? Des pénalités de retard peuvent-elles être envisagées à l’encontre de l’acquéreur si les travaux occasionnent une gêne pour le vendeur / promoteur ? Une GFA pour ces travaux est-elle obligatoire ? une simple caution suffit-elle ? Tant de questions qui nécessitent d’être abordées afin de construire un logement sain, confortable et conforme.

 

Propos conclusif

 

Cette nouvelle loi fleuve, bien que partie sur un bon élan, ne semble pas encore sauter le pas de la simplification. Elle rabote, elle complexifie, et semble d’ores et déjà se prendre les pieds dans le tapis. Certes, tout n’est pas à jeter. Il y a de bons textes et surtout de bonnes intentions. Mais il ne manquera pas aux conseils et Notaires de compenser intelligemment et intelligiblement ce que la loi ne dit pas.

 

A.B.

 

Edito rédigé par Antoine BOURIT
Notaire au sein de Notaridge, Notaires et Associés

 

 

 

[1] MC Solaar

[2] Le Président de la République a, après décision n°2018-772 DC du Conseil Constitutionnel en date du 15 novembre 2018, promulgué la Loi n° 2018-1021 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique le 23 novembre 2018. Ladite loi, publiée le 24 novembre 2018 au Journal Officiel, est entrée en vigueur le 25 novembre 2018, pour l’ensemble des mesures de la loi qui n’ont pas prévu de différé d’application dans le temps ou de textes d’application (décret, etc.).

[3] OIN : Opération d’Intérêt National – GOU : Grande Opération d’Urbanisme. La création et la refonte de ces zones va permettre par exemple la libéralisation de concession d’aménagement ou de marché ainsi qu’élargir les exceptions de l’application de la loi MOP.

[4] LOI n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au Service d’une Société de Confiance

[5] Article 64 de la loi ELAN – Article L. 111-7-1 du code de la construction et de l’habitation. Un décret d’application est attendu ce mois-ci en vue d’entrer en vigueur le 1er juillet 2019.

[6] Article 175 de la loi

[7] Article 179 de la loi, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2021

[8] Article L. 423-1 et suivants du code de l’urbanisme

[9] Article 600-1-1 du code de l’urbanisme