Votre Notaire, le nouvel Oracle ? ou libres propos sur la blockchain

08/05/2019
Thumbnail [16x6]

« Le verdict du passé est toujours le verdict d’un oracle. Vous ne le comprendrez que si vous êtes les architectes de l’avenir, les connaisseurs du présent. [A]»

La blockchain est sur toutes les lèvres tant cette technologie entend disrupter notre modèle économique et nos pratiques actuelles. La blockchain, cocagne ?

 

Qu’est-ce que la blockchain ?

 

1. Avant de déterminer certains enjeux de la blockchain, succincts rappels techniques : Comme l’a bien imagé l’Agefi[1], la blockchain est une suite de blocs liés entre eux, telles les pages d’un livre. La particularité provient du fait que chaque page (bloc) est détenue par une ou des personnes différentes.

2. Il existe plusieurs natures de blockchain : La blockchain 1.0, dont la monnaie en est le cœur via la gestion de transactions de paiements en devise numérique, tel le bitcoin ; la blockchain 2.0, intéressant la transaction d’actifs, principalement immobilières (teckon) ; et la blockchain 3.0 centrée sur les smart-contracts.

3. Il existe également plusieurs genres de blockchain : La blockchain dite publique d’une part, laquelle est ouverte à tous. Gérée par des mineurs[2] libres, elle n’entend être régulable par aucune autorité. Elle n’a pas de responsable et n’est sous le contrôle d’aucun tiers. La blockchain dite privée, d’autre part. Elle est réservée à certains utilisateurs, identifiés et identifiables. Il est possible d’imposer à ces derniers des obligations par l’acceptation préalable de charges et conditions d’utilisation.

 

Avantages avancés par la blockchain

 

4. La blockchain présente de nombreux avantages : Elle est transparente, infalsifiable, sécurisée, confidentielle. Elle permet également de réduire les coûts, de gagner du temps et en efficacité.

5. En outre, les règles du blockchain obéissent à un protocole dont les règles sont déterminées et connues à l’avance de tous, et qui ne peuvent être modifiées, sauf à former un fork[3].

6. Aussi, une fois le bloc validé par des mineurs, horodaté[4] puis crypté[5], il s’ajoute automatiquement au bloc précédent de la chaine. Le dernier bloc ajouté est rattaché à la chaine en reprenant l’empreinte numérique de celui qui le précède. Par ailleurs, une copie de l’empreinte du bloc ajouté est copiée sur l’ensemble des ordinateurs. Par suite, aucune modification ou suppression ne peuvent être réalisée.

 

Des partisans aux utilisateurs

 

7. La blockchain a déjà été adoptée par diverses entités. En voici quelques exemples : Les Nation-Unies l’ont utilisée pour gérer le programme alimentaire mondial, le Ghana pour créer leur service de cadastre, le groupe Carrefour l’a également utilisé pour vérifier la traçabilité d’un de ses produits « labels rouge », et le groupe Eveleger pour gérer la traçabilité de ses diamants…

8. Aussi, en France, tout récemment, est entré en vigueur le 26 décembre 2018 un décret relatif à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP)[6]. A ceci s’ajoute, le rapport de l’Assemblée Nationale du 12 décembre 2018, aux termes duquel elle a formulé certaines propositions intéressantes, telles la reconnaissance du crypto-minage et la régulation des crypo-actifs, l’adaptation du régime du règlement eIDAS de preuves électroniques, la création d’un monnaie numérique, l’évaluation du RGPD applicable à la blockchain, …

 

Le notariat et la blockchain 2.0

 

9. Par ses fonctions de transmission, de conservation des données, d’enregistrement des données infalsifiables, de traçabilité, d’ordonnancement de date certaine, d’automatisation, le notariat s’est fortement intéressé par cet apport de sécurité juridique dans la préparation et l’exécution de ses actes.

10.  Il faut savoir que par la réalisation de data-room, via l’espace notarial notamment, par la généralisation de Télé@ctes,  par la dématérialisation des procédures (préemption, …), le notariat s’est déjà familiarisé avec cette nouvelle technologie. Cela renforcera, je le pense, la sécurité juridique et l’efficacité de nos actes. Par ailleurs, grâce à la blockchain, les parties pourront, à mon sens, moins contester les documents et informations transmises. En effet, par l’horodatage, par le caractère intangible et infalsifiable de la blockchain, les documents reçus et transmis ne pourront plus être sujets à discussion.

11. Attention, la blockchain n’est pas la panacée. Elle ne se substituera pas à nos actes. En effet, par exemple, la blockchain n’est pas en mesure de ne vérifier l’identité, les pouvoirs et la capacité de nos clients. La blockchain n’a pas de fonction d’authentification, mais uniquement de conservation et certification. Là est bien la différence. En outre, aucune force exécutoire n’est attachée, à ce jour, à la blockchain, contrairement à un acte authentique !

 

Le notariat et la blockchain 3.0

 

12. Le smart-contrat est un faux ami par excellence. Il n’est pas un contrat, prérédigé, aux termes duquel les parties n’ont plus qu’à apposer leurs signatures. C’est un algorithme qui permet de programmer à l’avance le déclenchement automatique d’événements.

13. L’utilisation du smart-contrat présente certains talents. Par exemple, dans le jeu des conditions suspensives : Il pourrait être prévu qu’en cas de non-obtention d’un permis de construire à une date déterminée, le contrat serait caduc de facto et l’indemnité d’immobilisation automatiquement restituée. Le séquestre, que l’on prévoit dans nos actes, n’aurait plus lieu d’être.

14.  D’autres exemples pourraient être trouvés, tels dans le droit des assurances, des sûretés et des garanties, de la délivrance du prix payable à terme, et plus spécifiquement dans tous les contrats à exécution successive.

15. Même si la blockchain est attrayante, elle n’est pas sans inconvénient. En effet, l’automaticité du déclenchement des évènements peut non seulement ne plus être souhaitée par les parties au contrat, mais également être contra legem : Quid du pouvoir du juge qui peut, par exemple, moduler le montant de la clause pénale ou octroyer un délai de grâce ?

16. Il ne faut pas être pour autant effrayé par les smart-contracts. Bien au contraire, il faut saisir cette occasion. Dans la blockchain 3.0, un tiers dénommé « Oracle », est chargé d’entrer manuellement une donnée extérieure dans la blockchain. L’Oracle fait le nécessaire lien entre le monde réel et le monde virtuel. Si ce n’est un algorithme, il s’agit d’un « tiers de confiance ».

17. C’est à cet endroit que le notaire a un nouveau rôle à jouer. Qui mieux que le Notaire permet d’authentifier la survenance d’un événement ? Qui mieux que le notaire est en droit de de constater la réalisation de l’évènement et le déclenchement de l’exécution prévue par les parties ? Nous le faisons tous les jours dans nos dossiers. Cela rassurerait les parties qu’un Notaire soit en charge de cette mission : Nous pourrions donner date certaine, authentifier par notre délégation de puissance publique la survenance d’un évènement, et sécuriser in fine l’opération.

 

Propos conclusif

 

La blockchain, bien qu’étant une nouvelle technologie souvent mal appréhendée, permettra de compléter et améliorer notre travail quotidien. Enfin, je suis persuadé que notre qualité d’officier public et ministériel peut et doit jouer un rôle dirimant dans la blockchain, en qualité d’oracle notamment.

 

A.B.

 

Edito rédigé par Antoine Bourit
Notaire au sein de Notaridge, Notaires et Associés

 


 

 

[A] Friedrich Nietzsche – Considérations inactuelles (1874)
[1] Agefi Actifs n°39, septembre 2018, 1477095
[2] Les mineurs gèrent les serveurs de la blockchain et sont parfois des utilisateurs. Ils peuvent être seul, en pool ou professionnels, répartis sur des nœuds. Ces mineurs sont indépendants qui valident, par des techniques de cryptages les transactions. Ils sont rémunérés pour leur travail
[3] Le fork est la divergence de la blockchain en une autre voie, suite à un changement de protocole, pour éviter tout piratage ou bugs
[4] L’horodatage permet de donner une date et une heure des éléments ajoutés à la blockchain
[5] Une empreinte spécifique est donnée à chaque élément ajouté à la blockchain
[6] Décret n°2018-1226 du 24 décembre 2018 – JO 26 décembre 2018 – n°33 pris en application i) de l’ordonnance n°2017-1674 du 8 décembre 2017-1674 : JO 9 décembre 2017 relative à l’utilisation du DEEP pour la représentation et la transmission de titres financiers, et ii) de l’article L 223-12 du Code monétaire et financier relatif à l’émission et la cession des minibons