l’urbanisme transitoire Ou l’urbanisme transitoire est une solution programmatique pérenne ?

08/04/2019
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« C’est au sein du transitoire que l’homme s’accomplit,
Ou jamais.[1]»

Coup de projecteur sur cette politique d’aménagement urbain de plus en plus sollicitée, adoptée et pratiquée – ou critiquée – suite à la signature par la ville de Paris le 26 août dernier de la Charte en faveur du développement de l’occupation temporaire comme outil au service du territoire parisien. Regards.

 

Qu’est-ce que l’urbanisme dit « transitoire » ou « temporaire » ?

 

1. Il n’existe pas de définition juridique de l’urbanisme transitoire. Il faut entendre par là une pratique politique permettant de redynamiser provisoirement un quartier, le temps que le projet de construction ou d’aménagement définitif soit mis en place. L’urbanisme temporaire englobe alors toutes les initiatives, sur des terrains ou bâtiments inoccupés, visant à réactiver la vie locale de façon transitoire, lorsque le projet initial souhaité tarde à se réaliser.

2. Cette pratique est née principalement d’un double constat :


– Le premier est d’ordre matériel : certains terrains ne sont pas « maximisés » et sont devenus aujourd’hui des zones franches ou des friches, parce que les projets de construction sont de plus en plus long à voir le jour (temps de négociation, délai d’instruction, études techniques, études de faisabilité, …) ou pour diverses autres raisons (successions, dépollution trop couteuse, …),

– Le second est d’ordre juridique : le droit français est rigide, et particulièrement le droit de l’urbanisme. En effet, ce dernier repose principalement sur un modèle de planification datant de 1967[2] qui fige les usages et destination des espaces, et qui – par manque de souplesse – empêche une mutabilité des bâtiments.

 

A-t-il aujourd’hui un intérêt ?

 

3. Or aujourd’hui, les politiques sentent qu’il y a lieu de construire autrement, sans tenir compte de l’usage définitif et figé à l’origine, et incitent les acteurs du marché à assurer la réversibilité des constructions dès leur conception en fonction des usages futurs.

4. Les politiques perçoivent également que ces terrains inoccupés peuvent répondre à des besoins sociaux non satisfaits. La méthode de l’urbanisme transitoire, habile pour éviter les squats, est alors devenue un vrai laboratoire pour tester les nouveaux usages : collectifs d’artistes, foyers d’hébergements pour des personnes en difficultés, incubateur de start-ups …

5. Les projets se sont dès lors multipliés dans toute la France : Hôtel Pasteur à Rennes, Darwin à Bordeau, Parc Foresta à Marseille, Grands-Voisins à Paris 14°, …

6. Force est de constater que les projets transitoires deviennent des leviers d’expérimentations, des espaces de liberté. Ce sont aujourd’hui des lieux ou s’inventent des nouvelles façons de faire la ville, de concevoir des projets urbains.

7. Les personnes privées seraient également bien heureuses de souscrire à cette politique.  En redynamisant un quartier, non seulement cela permettrait d’éviter les occupations illicites de leurs terrains, mais les propriétaires fonciers y trouveraient un intérêt financier puisque les terrains mis à disposition temporairement seront alors revalorisés.

 

Des solutions juridiques ?

 

8. Des solutions juridiques existent-elles aujourd’hui ? Nous devons répondre par la positive à cette interrogation.

9. Si les collectivités ou établissement publics détiennent des terrains, qui sont dans leur domaine public, ils pourraient notamment conclure avec des opérateurs des Autorisations d’Occupations Temporaire (AOT). Attirantes puisque constitutives de droits réels, il ne faut pas oublié d’être vigilant lors de la régularisation de ces actes, notamment quant aux sorts des constructions en fin de contrat, ou des mesures de publicité et de mise en concurrence[3].

10. Si les collectivités ou établissement publics disposent de terrains, qui sont dans leur domaine privé, ils pourraient notamment conclure soit des baux dérogatoires[4] ne pouvant excéder 3 ans, soit une convention d’occupation précaire[5], soit un prêt à usage.

 

Des obstacles à une évolution ?

 

11. Pour les opérateurs, il faudra être vigilent sur plusieurs sujets, et notamment sur la nature des autorisations d’urbanisme à solliciter et obtenir.

12. En effet, la politique d’urbanisme transitoire n’est pas en soi dérogatoire.

13. Ainsi, le projet urbain devra être conforme au règlement du PLU, ou tout autre disposition en tenant lieu. Par ailleurs, un permis de construire, un permis d’aménager, une déclaration préalable devra être préalablement obtenu avant toute nouvelle constructions, fussent-elles temporaires. Notons toutefois que depuis quelques années (loi SRU, loi ELAN…) les politiques incitatives de réversibilité et de transformation des immeubles existants se multiplient, à l’instar des règles dérogatoires aux principes généraux d’autorisations urbanistiques.

14. Par ailleurs, il devra, éventuellement, être réalisé, selon la nature actuelle du local et celle à venir, un changement d’usage (commerce vers habitation par exemple), lequel n’est pas libre et doit être contrôlé par l’administration (permis de construire, déclaration préalable, ou absence).

15. A noter que la survenance des Jeux Olympiques 2024 à Paris a toutefois quelque peu accéléré la modification de ces pratiques[6]. En effet, les organismes HLM ont pu et pourront acquérir et construire des locaux, à usage d’habitation ou non, afin de les mettre temporairement à disposition des JO. Aussi, dans leurs conceptualisations, les bâtiments devront d’ores et déjà prévoir leur réversibilité. En outre, depuis le 27 mars dernier[7], les règles relatives aux instructions des demandes de permis de construire, de démolir et d’aménager ainsi que des déclarations préalables relatives aux projets nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ont été modifiées, dont certaines dispositions sont spécifiques aux projets réalisés au sein du périmètre de l’opération d’intérêt national (OIN).

16. Enfin, il ne faut pas oublier le respect des normes techniques de construction, telles que les règles régissant l’organisation juridique de l’immeuble (copropriété, volumétrie, …), les règles de protection contre les risques d’incendie, les règles relatives à l’accessibilité aux établissements recevant du public (ERP)

 

Regards sur l’avenir

 

17. L’urbanisme n’est-il qu’un phénomène anecdotique ou éphémère ? L’engouement des acteurs de l’urbanisme se poursuivra-t-il jusque dans les programmes de projet urbain ou dans les processus d’aménagement ?
18. A l’instar de la signature de la charte signée le 26 aout 2019  entre la Ville de Paris, la Banque des territoires (Caisse des Dépôts), Elogie Siemp et Soreqa, Gecina, Kaufman & Broad, Icade (CdC encore), Paris Commerces, Paris Habitat, Paris Métropole Aménagement, PariSeine, la RATP, la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), la SEMAEST, la SEMAPA, SNCF Immobilier, Sogaris et Quartus, qui se sont notamment engagés à « diversifier au maximum les activités« , à « assurer la mise en place de critères de sélections transparents » ou encore à « mobiliser l’ensemble des autorités publiques afin d’assurer un examen rapide des autorisations« , je souhaite, pour ma part, que d’autres projets de cette ampleur se multiplient.

19. Parce que la ville se métamorphose, parce que c’est un moyen d’être acteur de son territoire, parce que cela créé de l’excitation, parce que c’est aussi une stratégie marketing, l’urbanisme transitoire fait partie des solutions à déployer pour l’urbanisme de demain.

20. Toutefois, « le temporaire doit rester… temporaire »[8]. Le fond du problème est bien de redonner des usages permanents à des lieux délaissés par une mécanique administrative devenue trop complexe et trop lente.

21. Ou alors, il pourrait être envisagé de créer dans des zones déterminées l’instauration de règles plus souples, permettant de favoriser des bâtiments innovants, multi-usages et réversibles, ou de manière plus large, un droit de l’urbanisme plus agile et flexible afin de répondre à des enjeux sociaux, économiques, environnementaux et démographiques.

 

A.B.

 

Edito rédigé par Antoine BOURIT
Notaire au sein de Notaridge, Notaires et Associés

 

 

[1] Simone de Beauvoir – Pour une morale de l’ambiguïté
[2] LOI n° 67-1253 du 30 décembre 1967 d’orientation foncière
[3] Ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques
[4] L 145-5 du code de commerce
[5] L 145-5-1 du code de commerce
[6] LOI n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024
[7] Décret n° 2019-248 du 27 mars 2019 relatif à l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme portant sur les projets nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024
[8] Guillaume Poitrinal, co-président de Woodeum