Le permis d’expérimenter

11/03/2019
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« Il était expérimenté.
Et savait que la méfiance est mère de la sûreté.[1]»

Les moyens mis en œuvre par le Législateur autour de la communication sur le permis de déroger / expérimenter constituent-il un aveu de scepticisme d’adoption par les promoteurs, ou une réelle volonté de miser sur les solutions techniques ou architecturales innovantes ?

 

Un régime juridique inspiré de la loi LCAP

 

1.  L’article 49 de la loi pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC) a pour objectif de « faciliter la réalisation des projets de construction et favoriser l’innovation ». Le gouvernement a été habilité à procéder en deux étapes, dont la première a d’ores et déjà été lancée, à titre transitoire, par une ordonnance du 31 octobre 2018, complétée par un décret du 11 mars 2019.

2. L’ordonnance a autorisé les maîtres d’ouvrages à proposer des moyens différents de ceux prévus par la règlementation actuelle, sous réserve qu’il soit apporté la preuve que ces solutions innovantes atteignent les résultats équivalents aux dispositions constructives minimales. Le décret a, quant à lui, fixer les conditions de capitalisation et de diffusion de données relatives aux projets ayant recours à une ou plusieurs solutions d’effets équivalents (SEE).

3. Le changement de paradigme que propose cette législation dans le changement des définitions des règles de construction est le fruit de la concertation des acteurs du secteur. En effet, elle a été copiloté entre les services de l’Etat et la CSCEE[2], et a fait notamment l’objet de consultations auprès du CNEM[3], du CCLRD[4], des instances du CCOT[5], ainsi que les promoteurs, professeurs, et autres publics.

4. Quand bien même la consultation fut large, le dispositif n’est, en soi, pas si novateur que cela. En effet, l’article 88 de la loi relative à la Liberté et la Création, à l’Architecture et au Patrimoine[6], avait déjà permis à certains maitres d’ouvrage de déroger à certaines règles de construction pour des projets de réalisation d’équipements publics ou de logements sociaux. Il faut noter à ce sujet que la loi LCAP fut un échec puisqu’aucun permis de faire n’a abouti. Il a donc fallu apprendre de ses erreurs afin que le nouveau permis d’expérimenter puisse devenir une réussite.

 

Un champ d’application large

 

5. La possibilité de mettre en œuvre les SEE est encadrée par les 3 textes (article 49 / ordonnance / décret). Le tableau synoptique ci-dessous tente de récapituler leur contenu.
6. Ainsi, le permis d’expérimenter dispose d’un champ d’application plus large. Il n’est pas limité qu’aux domaines de sécurité et incendie. Il a été étendu à d’autres secteurs comme l’aération, l’accessibilité, la performance énergétique et environnementale, … Notons également que ce permis peut être obtenu par tout maître d’ouvrage, qu’il soit public ou privé, pour toute opération de construction de bâtiments ou pour la réalisation de travaux, qui par leur nature ou leur ampleur sont équivalents à une telle opération. Les projets concernés sont ceux nécessitant une autorisation d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager ou déclaration préalable) ou une autorisation spécifique aux établissements recevant du public ou aux monuments historiques.

 

Moyen ou résultat ?

 

7. Il n’est parfois pas si facile de s’y retrouver. En effet, l’article 49 précise que les règles pour lesquelles une SEE doit être apportée ne peuvent être que des exigences de moyens.

8. L’ordonnance ajoute que le maître d’ouvrage doit justifier de l’atteinte des résultats équivalents à ceux découlant de la règle dérogée. Et le décret énonce que « les règles de construction […] s’entendent des seules obligations de moyens résultant [de l’article 2 du décret], à l’exclusion des obligations formulées en termes de performance ou de résultats […] ».

9. A cela s’ajoute le fait que les dispositions constructives (incendie, aération, accessibilité, énergie, acoustique, forêts, insectes, risque sismique, remploi des matériaux) peuvent ainsi être interprétées soit comme une exigence de moyens, soit comme une performance ; ce qui peut être le cas lorsqu’un garde-fou de performance vient en complément d’exigences de résultats plus globaux !

10. Ainsi, en passant du permis de construire au permis de déroger, d’une logique de moyens à utiliser à une logique de résultats à atteindre, ce qui, dans l’histoire du code de la construction, est un sérieux virage. Mais qu’il est bien difficile de distinguer l’exigence de moyens de celle de résultat !

 

Une démarche administrative densifiée

 

11. Le schéma ci-dessous récapitule le nouveau parcours de mise en œuvre de la SEE[7].

12. Nous pouvons ainsi constater que la procédure d’obtention de l’autorisation administrative sera complexifiée, et de facto plus longue. Nous espérons toutefois que la loi ELAN, postérieure à la loi ESSOC, dont l’objectif gouvernemental est « construireplus, mieux et moins cher », pourra ainsi insuffler un peu de son âme dans le permis de déroger. Certes la loi ESSOC repose sur deux piliers « Faire confiance » et « Faire simple », mais il ne faudrait pas que la chance donnée à l’innovation pâtisse des vicissitudes administratives, et que les SEE ne puissent ainsi jamais être mises en œuvre.

13. Le dossier de demande de SEE est également plus dense et complexe car afin que l’organisme puisse établir son attestation SSE, il doit être délivré de nombreux et nouveaux documents (justification du caractère innovant, liste des compétences, présentation des moyens, protocole des modalités, consignes d’exploitation, …). Certes, l’outil interministériel demarche.simplifiées.fr permettra peut-être de faciliter les démarches ; d’autant plus qu’il est demandé aux organismes de délivrer leurs attestations via ce site[8], lesquelles doivent être jointes au dossier de demande de permis d’expérimenter.

14. Par ailleurs, il faut penser au délai d’obtention des attestations SEE. En ajoutant une nouvelle dose de bureaucratie, l’acte de construire est de facto plus long. Or, l’on sait qu’un client peut être perdu à raison de l’allongement de délais.

 

L’intervention multipliée d’organismes qualifiés

 

15. Les organismes qui délivrent les attestations SEE ont été précisés par le décret. Ceux-ci peuvent être un contrôleur technique, le Cerema, le CSTB ou un organisme qualifié ; laquelle certification doit être délivrée par un organisme accrédité par le COFRAC.

16. L’obtention des attestations sont nécessaires pour assurer la sécurité des ouvrages. Toutefois, elle peut être un frein, et cela à double titre. D’une part, ces organismes ne sont pas aujourd’hui qualifiés, et il faudra du temps pour qu’elles i) soit certifiées, et ii) délivrent les attestations. D’autre part, ils ne sont pas tous aujourd’hui assurés. Or, les compagnies d’assurances, soit ne savent à jour évaluer le risque des SEE, soit ne veulent pas l’assurer. Il est donc bien difficile de savoir si le nouveau pari de l’innovation sera gagnant.

17. Par ailleurs, cela ne dispense pas pour autant, dans le cadre de l’accessibilité ou la sécurité incendie, que soit consulté la Commission Consultative Départementale de Sécurité et d’Accessibilité, et quel que soit la destination de l’immeuble projetée (habitation ou ERP) !

18. Un contrôle de SEE sera réalisé par un organisme, non seulement préalablement à l’opération de construction, mais également en cours de chantier et postérieurement. En effet, un contrôleur technique devra vérifier la bonne mise en œuvre de la SEE sur la base du dossier remis à l’organisme. La COPREC a également mis au point un cadre spécifique à ce sujet. Par ailleurs, après la livraison, il pourra être également sollicité les pièces du dossier par l’agent en charge du contrôle[9].

 

Un permis valorisable ?

 

19. Les mesures de ce nouveau permis entraineront une augmentation du bilan promoteur.

20. En effet, les maîtres d’ouvrage devront trouver une nouvelle police d’assurance, entrainant un surcoût par rapport à la logique actuelle. En outre, quand bien même le code des assurances a évolué en ce sens, il n’est toutefois pas certain que cela suffise à régler les difficultés qui vont naitre de l’application du permis de déroger en matière d’assurance. En effet, il existe un risque réel que les entreprises, qui participeront à des projets « hors normes » ne soient pas couvertes au titre des travaux impliquant de recourir à des procédés de constructions non traditionnels, ou non encadrés par les avis techniques. Ainsi, les maîtres d’œuvres pourront voir engager leur responsabilités in solidum avec des constructeurs non garantis.

21. Par ailleurs, les maitres d’ouvrage vont travailler avec un architecte, un bureau d’étude, … qui emporteront des coûts d’innovation supplémentaire.  Or, il semble qu’avec ce nouveau permis, les promoteurs soient, ainsi que l’a souligné Monsieur Alexis Rouque, Délégué général de la FPI, plus dans une logique de partage de l’innovation des uns et des autres. Ainsi, un maitre d’ouvrage n’ira pas investir si derrière, il n’a pas de retour sur investissement. Rarement philanthropes, les acteurs du services privés d’iront pas mettre leur innovation à la disposition de toute le monde et de ses concurrents. Il peut toutefois être félicité l’adhésion à la chartre d’engagement volontaire[10] par un grand nombre d’acteurs du secteur (Gecina, Icade, Emerifne, Nexity, Sogeprom, Inter construction, Kaufmann & Broad…).

22. L’enjeu est de taille, et le Gouvernement l’a bien saisi. En faisant appel à cette manifestation d’intérêt, ce dernier s’est engagé à accompagner les maîtres d’ouvrage, techniquement et financièrement. En effet, l’Administration propose d’aider financièrement les acteurs du marché en remboursant sur facture les coûts liés à la constitution du dossier de demande d’autorisation, sur présentation de facture, dans la limite de 10.000 € par projet.

23. Certes, l’Etat fait beaucoup d’effort afin de libérer l’innovation dans la construction, mais la réussite de ce projet nécessite également que les acteurs agissent sur leurs propres normes d’application volontaire.

 

Un avenir ambitieux en cours de réflexion.

 

24. L’ordonnance I a été écrite uniquement à titre transitoire. En effet, il a d’ores et déjà été prévu par la loi qu’une nouvelle ordonnance devra voir le jour au plus tard le 10 février 2020. Elle aura pour objectif thuriféraire de réécrire le Code de la construction et de l’Habitation !

25. En autorisant de plein droit les maîtres d’ouvrage à mettre en œuvre les SEE, l’ordonnance II devra aller plus loin.   Le raisonnement adopté devra s’axer uniquement sur des objectifs généraux de règles de constructions et des résultats minimaux, et non sur des obligations de moyens. Ainsi, la nouveauté résiderait dans la suppression d’une demande de dérogation, de sorte que maître d’ouvrage disposerait d’un droit permanent de déroger dans les conditions posées par les décrets d’application.

26. Enfin, des groupes de travail sont déjà en marche. Il a d’ores et déjà été mis en avant le respect des Directives Européennes, la nouvelle architecture du futur livre I du CCH, ainsi que la pérennisation des solutions innovantes ou l’évolution des missions de vérifications, …

 

A.B.

 

Edito rédigé par Antoine BOURIT
Notaire au sein de Notaridge, Notaires et Associés

 

[1] Jean de La Fontaine – Fables « Le Chat et un vieux Rat »
[2] Conseil Supérieur de la Construction et de l’Efficacité Energétique
[3] Conseil National d’Evaluation des Normes
[4] Comité Consultatif de la Législation et la Règlementation Financières
[5] Conseil d’Orientation des Conditions de Travail
[6] L’alinéa I de l’article 88 de la loi LCPA est aujourd’hui abrogé, car l’ordonnance du 30 octobre 2018 recouvre et va au-delà de cette possibilité. L’alinéa 2 reste en vigueur et certaines EPA ont monter des dossiers pour les OIN et GOU.
[7] ESSOC I – Guide d’application de l’ordonnance n°2018-937 et des décrets qui lui sont liés – Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire – Ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
[8] https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/aee
[9] Article L 151-1 du CCH. La loi ELAN a porté de 3 ans à 6 ans le délai de contrôle.
[10] Charte : http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/charte_revisee_v2.1.pdf